Le 6 décembre 2022 s’est tenu à l’Assemblée nationale un débat sur la politique de l’immigration.
Je suis intervenue au nom des députés Démocrates pendant la présentation des futurs projets du Gouvernement en la matière.
Un seul objectif doit guider notre politique d’immigration : celui de trouver un équilibre entre humanisme lucide et intégration réussie.
Voici mon discours prononcé dans l'Hémicycle :
Merci Madame la présidente
Madame la Première ministre,
Madame la ministre,
Messieurs les ministres,
Mes chers collègues,
Il y a un an, à quelques jours près, la France ouvrait les portes du Panthéon à Joséphine Baker. Sixième femme à y prendre place après Simone Veil, elle est l’incarnation d’une intégration voulue et réussie.
Grande artiste de music-hall, humaniste et femme de cœur, elle fut avant tout une grande patriote, sous-lieutenante engagée au sein des Forces françaises libres. Et lorsqu’elle était félicitée pour son action, elle répondait :
« La France m’a ouvert les bras, je ne fais que lui rendre ce qu’elle m’a donnée. ».
Par cette introduction, je souhaitais rappeler que nombre d’autres Joséphine existent, même si l’histoire ne leur a pas donné les mêmes honneurs.
Chers collègues, nous vivons actuellement une époque troublée : une guerre a lieu à nos portes, après qu’une pandémie ait déstabilisée durablement l’économie mondiale ; la crise énergétique est doublée d’une crise climatique majeure ; une montée de l’inflation inquiète nos concitoyens et l’incertitude, la tentation du repli et la peur saisissent les populations. Ce débat que nous avons aujourd’hui, et je remercie le Gouvernement de l’avoir organisé, nous oblige à prendre en considération la situation actuelle.
Mais en réalité, la question est toujours la même : comment conjuguer le principe universel de la libre circulation avec, de l’autre côté, le principe du libre choix des peuples et de leurs gouvernants de disposer librement de leurs frontières?
Cet équilibre est difficile à trouver, je le concède, certains souhaitant la fin irréaliste des frontières, d’autres voulant construire des murs tout aussi illusoires entre les pays.
Nous devons à nos compatriotes, de métropole et des Outre-mer, de chercher ce chemin d’équilibre. Les français attendent des réponses, nous les savons exigeants.
La dernière loi que nous avons votée en 2018 a produit des résultats et a entraîné une forte progression des éloignements entre 2017 et 2019 avant la crise du Covid. C’est mieux que ce que font nos voisins européens. Mais évidemment, ce n’est pas suffisant. Et c’est la raison pour laquelle notre groupe aborde le prochain projet de loi sur l’immigration avec beaucoup de pragmatisme mais aussi beaucoup d’humanité.
Pour le Groupe Démocrate, et comme je l’avais dit en 2018, nous devons avoir une politique d’immigration et d’intégration à la fois humaine et opérante, parce que l’un ne va pas sans l’autre. C’est pour nous la clef d’une législation réussie.
Sans ces deux bras pour accueillir chez nous ceux qui ont besoin de notre protection, ceux qui sont une chance ou un soutien pour notre activité économique, ceux qui viennent s’enrichir de nos savoirs et faire rayonner notre pays à l’international ; sans cette action exigeante, nous risquons de renforcer la défiance de certains de nos concitoyens, de réveiller des sentiments de rejet et d’accentuer des fractures dans notre société.
La première réponse est européenne, vous l’avez indiqué Madame la Première ministre.
En effet, une organisation régionale telle que l’Union européenne et a fortiori un État ne peuvent pas espérer maîtriser seuls les mouvements migratoires les concernant, ce qui n’enlève rien à la nécessité de politiques nationales pertinentes.
L’exemple récent de l’Ocean-Viking en est une parfaite illustration : les trois semaines d’errance du navire qui a fini par trouver refuge en France nous rappelle qu’il faut impérativement harmoniser les conditions d’entrées d’une part, mais aussi renforcer notre capacité à mettre en œuvre les droits humains d’autre part.
Pourtant en 2018 des lignes avaient été tracées. Sur ce point, je tiens à saluer le travail riche et fourni de notre Groupe, en particulier celui mené par Marielle de Sarnez, alors présidente de la commission des affaires étrangères, qui rappelait alors à juste titre que la stratégie que nous devons mener est européenne, diplomatique, de développement, par le biais d’une vision à long terme.
A cet égard, elle encourageait un objectif premier : harmoniser nos pratiques !
Aujourd’hui, cette convergence européenne tant attendue de l’asile doit enfin être mise en œuvre, sous forme de coopération renforcée si nécessaire, entre États membres d’accord pour avancer ensemble.
En matière de droit d’asile, nous savons tous que si le régime d'asile européen commun fixe des normes minimales communes applicables au traitement des demandeurs d'asile, ces derniers ne font pas l'objet d'un traitement uniforme et les taux de reconnaissance varient d'un État membre à l'autre. Cela entraîne « une course au droit d’asile » qui montre combien l’harmonisation des procédures et des normes en matière d’asile est nécessaire.
En matière de partenariat global et équilibré avec les pays d’origine et de transit, c’est une évidence, notre gestion des flux migratoires, qui doit se faire à l’échelle européenne, nous impose de regarder au_delà nos frontières afin de permettre à ces femmes, ces enfants, ces hommes qui fuient leur pays, d’avoir le choix, celui de rester vivre là où ils sont nés, là où leur famille est installée, là où est leur culture, leur identité.
A l’échelle nationale, il est entre autre indispensable que nous poursuivions nos efforts pour réduire les délais de traitement de la demande d’asile. C’est ainsi que nous permettrons aux bénéficiaires de la protection internationale de s’inscrire plus rapidement dans un parcours d’intégration, sans perdre de temps. Et c’est ainsi également ainsi que nous pourrons, dans le cas d’un rejet de la demande, opérer plus rapidement un retour effectif des déboutés vers leur pays d’origine. C’était l’objectif de la loi de 2018, dont il faut interroger et évaluer les résultats, à l’aune également de sa courte période d’application. En effet, promulguée en 2018, cette loi n’a pu voir ses effets qu’en 2019, 2020 et 2021 étant impactées par la crise sanitaire.
Ensuite, il est essentiel d’avoir une politique d’intégration renforcée. Cela passe par l’acquisition de la langue et par le travail.
François Bayrou disait à juste titre, il y a quelques jours qu’« on devrait exiger deux choses, la maîtrise de la langue qui est la garantie de la volonté de s'intégrer, de participer à un pays avec son mode de vie, et deuxièmement la volonté de s'engager dans le travail pour gagner sa vie ».
Aujourd’hui, 75 % des étrangers signataires du contrat d’intégration républicaine, le CIR, atteignent le niveau requis à l’issue de la formation obligatoire donnée par l’Office français de l’immigration et l’intégration, l’Ofii. Ce chiffre est bon, même s’il est encore insuffisant.
Malgré tout, l’atteinte d’un niveau de langue n’est pas exigée pour obtenir un titre de séjour, la seule obligation étant de suivre avec assiduité les formations civique et linguistique organisées par l’Ofii dans le cadre du contrat d’intégration républicaine. Nous devrons donc passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultat. Il nous semble nécessaire que le futur projet de loi sur l’immigration comporte des mesures volontaristes en la matière.
Par ailleurs, le travail doit redevenir le premier lieu de l’intégration des étrangers. Quelle est la situation aujourd’hui ?
- Le taux de chômage des immigrés est de 14,6 %, contre 8,3 % pour les personnes nées en France.
- Le taux d’emploi des immigrés est seulement de 58,5 % contre 66,4 % pour les personnes nées dans le pays, en particulier pour les femmes avec un différentiel de 15 points entre femmes immigrées et femmes nées en France.
Plusieurs dispositifs existent pour favoriser l’intégration des réfugiés, en particulier le dispositif d’accompagnement global et individualisé des réfugiés. Mais aujourd’hui trop de travailleurs étrangers qui contribuent à l’économie de notre pays sont installés et maintenus dans le non-droit ou l’illégalité. Ils ne peuvent pas, dès lors, rejoindre un parcours d’intégration.
C’est pourquoi, je le dis avec force au nom de mon groupe, nous voulons que l’hypocrisie cesse pour que ces « trappes à illégalité » disparaissent. Il faut des mesures pour les travailleurs étrangers eux-mêmes, afin de faciliter leur accès au travail dans des situations bien définies et déterminées, et des mesures envers les employeurs afin qu’ils participent au mieux à l’intégration sociale de leurs salariés. Cela passe, entre autres, par des mesures de régulation (je pense, notamment, au secteur des plateformes de transport et de livraison), par des réponses adaptées aux métiers en tension, aux besoins des entreprises en matière de profils très qualifiés, et si nécessaire par des sanctions dissuasives et appliquées en cas d’emploi d’un étranger clandestin.
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Né en 2005, le CESEDA, le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, peut-être le code le plus épais de notre droit, a connu de nombreux toilettages.
Depuis la fin des années 80, l’immigration a connu vingt et une lois. Vingt et une lois en trente-deux ans. C’est certainement trop, reconnaissons-le ! Il existe très peu de domaines dans lesquels on légifère autant. Cela doit nous conduire à l’humilité je crois, quelle que soit notre place dans cet hémicycle.
Monsieur le Ministre, aujourd’hui vous entendez ouvrir une nouvelle page. Vous avez choisi de mener plusieurs chantiers :
· Renforcer notre efficacité pour lutter contre les menaces à l’ordre public et à l’immigration irrégulière. Nous nous réjouissons que la lutte contre les passeurs, qui exploitent la détresse humaine, en fasse partie.
· Engager une réforme structurelle de notre système d’asile. En effet, le traitement des demandes d’asile est encore beaucoup trop long et source d’un trop grand contentieux. Sur ce point, il est important que les collectivités locales soient des partenaires actifs et des relais sur lesquels les représentants de l’Etat puissent s’appuyer. Car sans l’échelle locale, rien ne se fera !
Cependant, il faudra être attentif, pour les OQTF, à ne pas déséquilibrer le système en voulant aller trop vite, sans respecter les droits du recours en appel d’une décision.
· Vous entendez également renforcer les exigences d’intégration par la langue et le travail. Et nous en sommes satisfaits. Je le disais tout à l’heure, il ne peut y avoir d’intégration sans maitrise de la langue et un accès au travail.
Sur tous ces sujets, nous aurons le temps de travailler ensemble pour arriver à l’équilibre et l’efficacité.
Car nous croyons à un juste équilibre. Celui-ci est possible et nécessaire : un humanisme lucide, adapté et exigeant. C’est pourquoi nous serons force de propositions.
Nous veillerons à ce que nos valeurs soient préservées ; l’accueil et l’intégration ne pourront se faire qu’en étant exigeant sur les modalités de mises en œuvre ; ce sont les seules clefs d’une acceptation par toutes et tous de notre devoir d’accueil et ainsi, d’un climat apaisé dans notre pays où chacun pourra trouver sa place.
La migration n’est pas un phénomène dont nous devons avoir peur, elle existe depuis la nuit des temps. Qui d’entre nous d’ailleurs n’a pas un parent, un ami, un collègue qui n’est pas d’origine française? Qui d’entre nous ne voit pas aussi combien la France a pu s’enrichir de cette diversité ? Alors trouvons ensemble le courage de donner les moyens à ceux qui ont toute légitimité à rester dans notre pays, de le faire dans les meilleures conditions.
Je vous remercie.