De nombreuses personnes m’ont interpellée pour me faire part de leur incompréhension au regard de la position du Gouvernement sur la chloroquine et les préconisations du professeur Didier RAOULT quant à son utilisation sur les patients atteints de COVID-19.
Le traitement à base de chloroquine proposé par le professeur semble en effet prometteur. Le ministre de la Santé est en lien avec ce dernier et a exprimé son espoir que de nouveaux essais viennent conforter les résultats intéressants qu’il semble avoir obtenu. Aussi, le président de la République s’est récemment rendu à Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille pour s’entretenir avec le professeur RAOULT et il a clairement affirmé qu’aucune piste de traitement n’était écartée.
Toutefois, compte-tenu des enjeux majeurs de santé publique en présence, nous devons rester prudents. La décision politique doit être fondée sur des données scientifiques validées, garantissant un juste équilibre entre les bénéfices et les risques entraînés par le traitement. En effet, de nombreux médecins et chercheurs alertent sur les effets indésirables et les contre-indications de la chloroquine. Les traitements à base de cette molécule associés à d’autres médicaments comporteraient des risques de troubles du rythme ou de la conduction cardiaque et pourraient conduire à des accidents, y compris mortels. L’Agence régionale de santé de Nouvelle Aquitaine a notamment signalé des cas de toxicité cardiaque suite à des prises en automédication de Plaquenil, pour traiter des symptômes évocateurs du COVID-19, qui ont parfois nécessité une hospitalisation en réanimation. La chloroquine étant considérée comme un médicament à marge thérapeutique étroite (la dose thérapeutique efficace est proche de la dose toxique), les risques pour les patients ne sont donc pas anodins et les effets néfastes peuvent survenir brutalement pendant le traitement.
Les travaux menés par le professeur RAOULT et ses équipes sont critiqués pour leur manque de rigueur méthodologique et notamment pour l’absence de groupe témoin, ce qui rend toute conclusion impossible. En effet, constitué de patients qui ne reçoivent aucun traitement ou alors un placebo, le groupe de contrôle permet de mesurer l'efficacité du traitement testé. Sans cela, il est difficile voire impossible d'établir une comparaison afin de déterminer si c'est bien le traitement qui est à l'origine de l'amélioration. C’est pourquoi, l’Organisation mondiale de la santé ainsi que de nombreux médecins et chercheurs mettent en garde quant à l’interprétation des résultats qui en ressortent.
Aussi, afin de clore les débats, le CHU d'Angers et 33 établissements de santé ont annoncé le 31 mars le lancement d'une vaste étude "aux standards scientifiques et méthodologiques les plus élevés". Cette expérimentation portera sur 1 300 personnes de plus de 75 ans testées positives au virus et les conditions dans lesquelles elle sera réalisée ne devraient pas laisser de place au doute dans l’analyse des résultats.
Par ailleurs, un projet européen d’essais cliniques « Discovery », lancé depuis le 22 mars dans 7 pays, dont la France, a entrepris de tester cinq types de traitements sur plus de 3 000 patients (dont 800 Français).
En tout état de cause, les recherches scientifiques avancent. En attendant des résultats fiables sur l’efficacité de la chloroquine, le gouvernement cherche à mettre en place des solutions équilibrées pour faire face à l’urgence de la situation. Les décrets publiés au Journal Officiel les 26 et 27 mars, qui suivent les recommandations du Haut conseil de santé publique, encadrent la prescription de cette molécule : seuls les médecins hospitaliers, à titre dérogatoire et sur décision collégiale, peuvent désormais en prescrire à leurs malades les plus gravement atteints.
Dans le même temps, des recherches actives sont également menées notamment au niveau européen pour mettre au point un vaccin.
La prise de décision en cette période de crise sanitaire inédite est difficile, car il n’y a pas de consensus scientifique sur la marche à suivre. Le rôle du Gouvernement et du ministre de la Santé est de prendre le moins de risque possible afin de préserver la santé de la population française.
En temps normal, le débat scientifique, indispensable aux progrès médicaux, se déroule entre les scientifiques eux-mêmes, en dehors de la pression exercée par les médias et l’opinion publique. Aujourd’hui, il est exposé aux yeux de l’ensemble de la population et le risque d’instrumentalisation n’est jamais loin. C’est pourquoi nous devons faire preuve de prudence et rester solidaires afin de pouvoir surmonter cette crise ensemble, dans les meilleures conditions.